4 questions à Muriel Gargaud
Prénom et nom : Muriel Gargaud
Statut actuel : Directrice de recherche CNRS
Nom du laboratoire : Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (LAB)
Tutelles du laboratoire : Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Université de Bordeaux
Domaine de recherche : Exobiologie
Sujet de recherche actuel : Étude des conditions qui ont permis l’émergence de la vie sur Terre et recherche de la vie ailleurs dans l’Univers
Muriel Gargaud a eu deux vies : une première, consacrée aux modèles mathématiques sur ordinateur et une deuxième… à percer les secrets de la vie sur Terre et peut-être, ailleurs dans l’Univers. C’est par visioconférence que nous la retrouvons, pour comprendre sa double carrière de chercheuse. En condensé ? « On peut dire que pendant vingt ans, je suis restée concentrée sur le dernier poil de la queue de la souris et j’ai eu envie de voir son museau ! »
Qu’est-ce qui vous a amenée à faire de la recherche ?
Je considère que le début de mon parcours est assez classique. J’étais forte en maths, donc j’ai fait une licence dans ce domaine. J’ai découvert la mécanique quantique lors d’un cours dédié, et j’ai eu un vrai coup de cœur ! Mon souhait de faire de la recherche est venu naturellement : j’étais intéressée par un domaine et j’avais envie de l’approfondir. Pour ça, la mécanique quantique est quelque chose de fabuleux, car on n’a jamais le fin mot de l’histoire ! J’ai poursuivi en master, puis j’ai fait porter ma thèse sur les collisions atomiques à basse énergie qui se produisent dans le milieu interstellaire. Je suis devenue théoricienne sur le sujet et je le suis restée pendant vingt ans, mais j’ai fini par avoir besoin de davantage de contact humain. Il s’est trouvé que l’Institut national des sciences de l’univers, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rassemblait des spécialistes pour construire une discipline qui n’existait pas encore : l’exobiologie. Il avait besoin d’astronomes pour comprendre comment s’est formée notre planète, de chimistes pour découvrir comment les molécules de base se sont complexifiées jusqu’à faire apparaître la vie, de biologistes pour décrire son développement… Cela correspondait à ma recherche personnelle de pluridisciplinarité, donc j’ai eu un nouveau coup de cœur ! C’est aussi ça qui fait la vie d’un chercheur. J’ai donc commencé une deuxième carrière en ayant un rôle essentiellement fédérateur, pour souder cette communauté aux échelles nationale et internationale.
Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?
Je pense avoir passé une vie dans l’invisible. En physique atomique, je m’intéressais au noyau et aux électrons qui tournent autour, donc, à l’infiniment petit. Mes modèles s’appliquaient au milieu interstellaire, soit à l’infiniment grand, tout aussi invisible pour nous. Cette recherche était pour moi comme un jeu : comme je ne voyais pas mon objet d’étude, je voulais découvrir ce qui se cachait derrière et le formaliser. Lorsque je me suis réorientée vers l’exobiologie, la discipline était balbutiante ! Les critiques ont été vives. On l’apparentait à de la science-fiction, on l’accusait d’être une science sans objet. Mais effectivement, comme nous n’avons pas décelé de vie ailleurs, nous travaillons sur un sujet qui n’existe pas encore. Ce n’est pas facile à accepter, mais pour l’instant, nous sommes seuls !
Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?
L’objet du chercheur par excellence, du théoricien, c’est son ordinateur. Dans ma première vie, je travaillais essentiellement seule sur des problèmes mathématiques. Au début de ma carrière, nos écrans étaient cathodiques et donnaient un mal de tête affreux. Nous devions louer du temps de calcul par tranches d’une heure, et si nous n’avions pas terminé au bout du temps imparti, il fallait attendre le tour suivant. Maintenant, avec mon ordinateur portable, je suis en contact avec la Terre entière pour résoudre des problèmes pointus. Et grâce à mon smartphone, je peux même m’en passer. Il m’est arrivé de partir en conférence au Vietnam avec mes présentations sur téléphone après m’être fait voler mon ordinateur. Je n’aurais pas pu le faire il y a quarante ans !
Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?
En 1995, peu de temps avant mes débuts en exobiologie, Michel Mayor a découvert la première exoplanète. Avant cela, on imaginait bien que des planètes tournaient autour d’autres soleils, mais cela n’avait pas été observé. Aujourd’hui, c’est comme si l’on en recensait tous les jours ! C’est une révolution pour l’astronomie en général, face à laquelle on ne peut pas être insensible. Et parmi ces innombrables exoplanètes, y aurait-il des mondes habités ? La science-fiction a popularisé la thématique, malheureusement les lecteurs ne font pas toujours la différence entre science et science-fiction. Nous avons donc envers la société le devoir de rétablir l’état de nos connaissances. Il est de notre responsabilité d’expliquer à tous types de public que, par exemple, nous ne pouvons pas envisager d’abandonner notre planète et de nous installer ailleurs !
Marianne Lachaud
Si vous avez aimé ce portrait, alors vous aimerez les autres qui n’attendent que d’être lus ! Des scientifiques de toutes disciplines se livrent à vous…