4 questions à Louise Monnier

Analyser le sol pour remonter le temps

© Louise Monnier.

Prénom et nom : Louise Monnier

Statut actuel : Personnel ITRF (Ingénieure et personnel Technique, de Recherche et de Formation), Assistante Ingénieur, à l’Université de Bordeaux

Nom du laboratoire : Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC)

Tutelles du laboratoire : Université de Bordeaux, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut polytechnique (INP) Bordeaux, École pratique des hautes études (EPHE)

Domaine de recherche : Géologie marine

Sujet de recherche actuel : Instrumentation scientifique, expérimentation et mesure au sein de la plateforme automatisée d’analyses de carottes sédimentaires (PAACS)

Le quotidien de Louise Monnier dans la géologie marine est rythmé par l’analyse de carottes sédimentaires (échantillon de sédiments stratifiés prélevé du sol, en forme de carotte) au sein d’une plateforme automatisée. Il est 13 h 00, le temps est pluvieux mais c’est la fête dans le bureau de Louise : elle vient d’être titularisée assistante ingénieur. 

Qu’est-ce qui vous a amenée à faire de la recherche ?

J’ai grandi dans le département de la Manche et j’allais à la plage au moins un jour sur deux, ça a rythmé mon quotidien. Après mon bac scientifique, j’ai suivi une formation en trois ans de technicien supérieur des sciences de la mer, à Intechmer (Institut national des sciences et techniques de la mer). Pendant ma deuxième année, j’ai travaillé sur un projet qui m’a attirée vers la géologie marine, c’était l’étude de documents sur les pockmarks qui sont des structures géologiques de fonds par lesquelles sortent des fluides sédimentaires. Donc j’y ai étudié les sorties de ces fluides et leur impact sur les écosystèmes benthiques (de fond). J’ai trouvé ça fabuleux ! Il faut se dire que par des techniques d’analyse, on arrive à identifier le chemin que fait un élément chimique, par exemple l’azote, entre une molécule qui va être consommée par des bactéries puis par une moule puis ressortie dans l’eau. C’est vraiment ce qui m’a attirée vers la géologie marine ! Le sédiment est marqueur de ce qui est arrivé à cet endroit-là du globe pendant toute l’Histoire de la Terre et c’est aussi source d’information de tout ce qui s’est passé et ce qui va se passer à cet endroit. 

Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?

Quand on me dit l’invisible, je pense au sédiment marin ! C’est de la vase, du sable, des argiles qui à première vue sont simplement du sol. Ce que je qualifierais d’invisible, ce sont toutes les informations scientifiques qu’on peut tirer de cette matrice. Par exemple, ce sédiment marin peut être porteur d’organismes fossiles qui sont invisibles à l’œil nu et qui sont porteurs d’informations scientifiques majeures. Si on sait qu’une espèce apprécie les milieux chauds et humides, la retrouver à une certaine partie du sédiment voudra dire qu’à la période où le sédiment s’est déposé ici, il y avait ce climat-là. 

Sinon dans le terme de l’invisible, on utilise deux appareils au laboratoire : le XRF Core Scanner et le banc de radiographie X. Avec le premier appareil on arrive à détecter la composition chimique de notre sédiment marin, comment varie cette composition, etc. Ce qui va nous donner plein de messages différents. Pour le deuxième appareil, c’est typiquement de la radio comme à l’hôpital, mais avec des fréquences moindres. En fonction de la densité du sédiment, de la nature des grains ou encore de l’eau présente, on va avoir des images de notre carotte sédimentaire et savoir de quoi elle est composée, s’il y a des failles par exemple. Ces appareils utilisent quelque chose que nous ne voyons pas, les rayons X, pour déterminer un truc très concret sans déstructurer ou abîmer le sédiment.

Avaatech, analyseur d'éléments chimiques majeurs du sédiment de la plateforme PAACS du laboratoire EPOC Bordeaux
© Core Scanner XRF

Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?

Pour le coup, la carotte sédimentaire ! On gère son prélèvement, son conditionnement et l’analyse des échantillons. On prélève ces carottes en mer sur des navires océanographiques, ou sur terre avec des carottiers à main. Dans une mission, on peut récupérer une quinzaine de carottes de 30 à 50 m, même 70 m record détenu par la France avec le navire français Marion Dufresne. Ce sont des tubes plexis qu’on enfonce dans le sol pour récupérer le sédiment tel qu’il s’est formé. Les carottes sont ensuite amenées en laboratoire pour être conditionnées afin d’être conservées le plus longtemps possible, et être réutilisées dans le temps. Par exemple, on a des carottes qui datent de 1979 dans des zones où on ne pourra jamais retourner pour des contextes géopolitiques. Elles ont été conservées dans une champignonnière à Chambéry, où elles sont bien empaquetées pour garantir une conservation optimale des sédiments de sorte à ce que les résultats soient identiques, même 40 ans plus tard.

Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?

Déjà les rayons X c’est quand même une jolie découverte, mine de rien c’est ce qui marque mon travail ! Aussi, cette année, j’ai postulé à une titularisation pour le poste qui me fait devenir assistante ingénieur dans la plateforme d’analyse où je suis. C’est un concours public avec une partie écrite théorique puis une partie orale avec un jury. C’était complexe mais j’ai obtenu le poste, j’étais encouragée et soutenue par mes collègues. Je crois que je suis contente de moi !

Sur ma vie personnelle, ce qui me marque c’est de participer à quelque chose qui me dépasse un peu. Même si c’est un peu grandiloquent, j’aime me dire que je participe au fait de comprendre ce qui a fait ce monde-là, la place qu’on y a et comment on va pouvoir se servir des infos scientifiques qu’on donne. Et de se dire que la planète ne s’est jamais autant réchauffée que depuis les années 1900 avec la révolution industrielle, et on a la preuve nous, personnel de recherche en géologie, qu’il y a une croissance anormale des températures enregistrées dans les sédiments. Ça me marque mais ça me fait aussi du bien de me dire qu’on est qu’un événement dans l’Histoire de la Terre. On n’est pas grand-chose dans son histoire, mais voir qu’on a quand même fait beaucoup de choses ça instruit sur la place qu’il faut qu’on ait dans cet environnement.

Victorine Riom

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