4 questions à Joëlle Mascetti

© Tarchoun Khlifi.

Prénom et nom : Joëlle Mascetti

Statut actuel : Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Nom du laboratoire : Institut des sciences moléculaires (ISM)

Tutelles du laboratoire : CNRS, université de Bordeaux, Bordeaux INP

Domaine de recherche : Astrochimie

Sujet de recherche actuel : Réactivité photochimique de molécules piégées dans des glaces d’eau, modèles de grains interstellaires

Passionnée par la chimie depuis la fin du lycée, Joëlle Mascetti, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au sein de l’Institut des sciences moléculaires (ISM), revient sur sa riche carrière. De la valorisation du carbone à la chimie des nébuleuses, ses travaux l’ont amenée à fabriquer d’étonnants dispositifs pour réaliser ses expériences.

Qu’est-ce qui vous a amenée à faire de la recherche ?

Ça remonte à loin ! Au départ, je suivais des études d’ingénieure-chimiste. Il y avait des journées entières de travaux pratiques où je fabriquais plein de molécules. Et j’adorais ça ! Pourtant, en arrivant au lycée, je voulais étudier les lettres classiques. Mais comme j’étais douée en mathématiques, les professeurs ont insisté pour que j’aille plutôt en section scientifique. Mon intérêt pour la chimie s’est ensuite forgé grâce à mes très bons professeurs.

Avant la recherche, j’envisageais de travailler dans l’industrie. Mais les seuls postes proposés s’orientaient vers des missions davantage commerciales que techniques, ce qui me plaisait moins. Sans compter les difficultés pour une fille à s’insérer dans ce milieu… J’ai alors préféré me diriger vers une thèse, après avoir réussi le concours d’entrée au CNRS. Le sujet portait sur l’activation du dioxyde de carbone. Un sujet en avance sur son temps, puisque l’objectif était de valoriser et réduire le CO₂. À l’époque, trouver des financements sur cette thématique était difficile ! Après ma thèse, je ne suis jamais sortie du monde de la recherche.

Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?

En chimie, les molécules sont invisibles car elles ne sont pas observées directement. En réalité, c’est le matériau obtenu après la manipulation expérimentale qui est étudié. En particulier en astrochimie, les molécules ne sont même pas sur la paillasse, mais très loin dans l’espace. Les ondes infrarouges, invisibles pour l’œil humain, sont utilisées pour les étudier. Ces ondes possèdent une quantité d’énergie adéquate pour faire vibrer les molécules. Ces vibrations renseignent alors sur la structure et la composition des molécules.

Dans les nébuleuses que nous étudions, les ondes infrarouges sont aussi moins absorbées que la lumière visible par les poussières qui les composent. Il est alors possible de voir plus profondément dans ces nuages de gaz stellaires.

Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?

Je travaille avec un cryostat, un réfrigérateur de compétition, qui descend à -263 °C. Un groupe de pompage génère un vide à l’intérieur, où la pression est un million de fois plus faible que la pression atmosphérique. Comme je cherche à vérifier les modèles théoriques, je réalise des expériences où les conditions doivent être proches de celles des nébuleuses. Ensuite, un système d’injection entièrement contrôlable envoie dans le cryostat les mélanges chimiques préparés en amont pour réaliser l’expérience. Sur ce cryostat, mes collègues et moi avons installé un four qui peut faire s’évaporer des métaux en montant à plus de 1000 °C. L’équipe en est particulièrement fière.

Car ici tout est fait maison ! Nous achetons bien certains éléments mais nous les assemblons avec nos propres pièces de raccordement. Nous travaillons avec toute une équipe de techniciens et d’ingénieurs qui regroupe plein de métiers : verriers, mécaniciens, électriciens et électroniciens.

Les mélanges chimiques sont injectés dans le cryostat cubique qui peut descendre à - 263 °C. Le four cylindrique à l’arrière peut monter à 1000 °C.
© Maxime Traineau.

Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marquée ?

Avec mes collègues, nous attendions depuis plus de dix ans le James Webb Telescope, qui devait partir en 2018. Je me disais alors que mes dernières années de carrière allaient être formidables. Mais à cause des retards techniques et financiers, il n’est parti qu’à Noël de l’année dernière. En revanche, les résultats qui sont tombés récemment sont très prometteurs ! Mais le traitement des données n’en est qu’à ses débuts pour l’astrochimie.

Plus généralement, ce qui me plaît dans la vie de chercheuse, c’est le travail en équipe avec des scientifiques du monde entier et de toutes les disciplines. Ce sont aussi les petites pièces que nous apportons jour après jour à la recherche. La joie de réussir une manipulation difficile. La fierté de publier un résultat qui répond à une question.

Maxime Traineau

Si vous avez aimé ce portrait, alors vous aimerez les autres qui n’attendent que d’être lus ! Des scientifiques de toutes disciplines se livrent à vous…