4 questions à Frédérique Eynaud

Un retour dans le passé pour une quête des mondes invisibles 

© Arthur Pequin.

Prénom et nom : Frédérique Eynaud

Statut actuel : DR-HDR, Maître de conférences

Nom du laboratoire : Laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (EPOC) UMR5805 

Tutelles du laboratoire : Université de Bordeaux, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), École pratique des hautes études (EPHE), Institut polytechnique (INP)

Domaine de recherche : Paléocéanographie, paléoclimatologie

Sujet de recherche actuel : Reconstitution des environnements et climats de la région atlantique nord (ouest Europe) sur les derniers millénaires // Écologie et paléoécologie des foraminifères planctoniques et kystes de dinoflagellés

Spécialiste en paléoclimatologie et paléocéanographie, Frédérique Eynaud a consacré toute sa carrière à l’étude de ce qu’on peut appeler des hypermondes ; des mondes qui n’existent pas ou plus… Il est 9h du matin, le ciel est gris et le froid est saisissant. Autour d’un café, nous retrouvons Mme Eynaud qui s’apprête à révéler des facettes insoupçonnées de ses recherches.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la recherche ?

Qu’est-ce qui m’a amené à faire de la recherche… Je dirais que c’est d’abord une thématique. Depuis toute petite, et je crois que c’est lié à une éducation parentale, j’ai une grosse curiosité pour le monde qui m’entoure au niveau naturaliste ; les cailloux, les oiseaux, les champignons, les plantes… Je me questionnais : Pourquoi ce caillou était là ? Pourquoi avait-il cette forme ? Pourquoi retrouvait-on telle espèce plutôt qu’une autre ? J’étais passionnée par les questions de fond, donc j’ai évidemment orienté mes études vers le domaine scientifique. Pour moi, il y avait vraiment deux voies passionnantes : l’archéologie et l’océanographie. Dès mes premières années à l’université j’ai su que la voie de la recherche était évidente, je ne me posais aucune question. Beaucoup m’ont dit de changer de domaine car je n’arriverais pas à faire de l’archéologie ou de l’océanographie mon métier, qu’une personne sur mille arrivait à avoir un poste stable. Malgré tout, après avoir laissé derrière moi l’archéologie, j’étais sûre de vouloir faire de l’océanographie. 

Finalement, la recherche c’était une évidence puisque c’est vraiment un questionnement fondamental incessant et toutes les mises en œuvre pour arriver à y répondre.

Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?

Je travaille sur la paléoclimatologie et la paléocéanographie. J’essaie de reconstituer des états passés de la Terre, de la dynamique de l’océan, de la dynamique du climat. Je travaille sur d’anciens climats, d’anciens océans, d’anciennes populations de planctons ; ce sont des mondes qui sont invisibles, que l’on pourrait comparer à des hypermondes tant ils font appel à l’imaginaire. 

Les objets que j’étudie sont difficilement reconnaissables à l’œil nu, on identifie quelques petits fragments mais la plupart du temps il faut des techniques de grossissement optique pour observer cet infiniment petit et le faire parler. Ils m’aident à reconstituer une vue de ces mondes qui ne sont plus visibles aujourd’hui mais qui l’ont été, à ce niveau-là on franchit des frontières temporelles. On se dit toujours que si un jour on avait des machines à remonter le temps pour mieux reconstituer ces mondes ce serait fabuleux. L’idée c’est vraiment de se projeter dans le temps, de révéler les mécanismes passés pour nous permettre de prédire les mécanismes futurs. 

Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?

Puisque ce sont les mondes invisibles, est-ce que j’ai le droit de choisir une taille macro de quelque chose qui est tout petit ? Dans ce cas on peut prendre des microfossiles de populations de foraminifères, dans lesquels on trouve des espèces aux formes remarquables qui sont tout simplement magnifiques. Ces microfossiles sont la base de tout mon travail, de toutes mes recherches. Sans cet objet, je ne raconte pas d’histoire. On peut les faire parler de toutes les manières possibles, en regardant par exemple leur morphologie, leur évolution dans le temps, le ratio isotopique pour différents éléments… Ce n’est pas grand-chose, c’est un grain de sable, ça a l’air complètement insignifiant quand on le regarde comme ça mais ce grain de sable a en fait plein de choses à raconter, c’est inimaginable. C‘est un monde magique. Quand on se plonge dedans, on a les yeux écarquillés tellement c’est joli, tellement ça a de choses à dire.

Microfossiles de foraminifères
© Frédérique Eynaud

Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?

En ce moment, les plus belles réalisations sont faites dans le cadre de projets communs avec des collègues archéologues et géographes sur le littoral aquitain. Voici une anecdote rigolote à citer dans ce contexte : en 2014 il y a eu de très fortes tempêtes sur le littoral atlantique, dans le cadre de nos projets, nous avons donc lancé des fouilles d’urgence pendant le mois d’octobre sur une butte découverte à marée basse sur la plage. Dans cette butte formée d’argile, il y avait des galets de la taille d’une noix. En tant que géologue, je me suis dit qu’ils n’étaient pas censés être là. Leur taille importante signait plutôt l’action de courants forts, ce n’était pas cohérent d’avoir ces galets déposés dans de l’argile fine témoignant plutôt de milieux hypers calmes ; quelque chose clochait. Mes collègues ramassaient tout le reste sauf ça, de mon côté, intriguée, j’en ai gardé une bonne partie. Finalement je me suis rendu compte beaucoup plus tard que ces cailloux étaient en fait des outils lithiques ; ce sont des outils qui étaient utilisés par les Hommes du Néolithique. On souhaite aujourd’hui lancer une analyse approfondie au microscope électronique à balayage pour découvrir à quoi ils servaient en examinant l’usure de leur surface. 

Tout ça pour dire que maintenant on sera plus vigilants sur les éléments à première vue « insignifiants ». Grâce à mon bagage de géologue et mon approche naturaliste, mon intuition a été assez logique, d’où l’importance de l’interdisciplinarité dans les équipes. C’est là aussi où la recherche c’est génial, on apprend sans arrêt les uns des autres. 

Célia Mira

Si vous avez aimé ce portrait, alors vous aimerez les autres qui n’attendent que d’être lus ! Des scientifiques de toutes disciplines se livrent à vous…