4 questions à Frédéric Perrot

© Fanny Cadou.

Prénom et nom : Frédéric Perrot

Statut actuel : Maître de conférences

Nom du laboratoire : Laboratoire de physique des deux infinis de Bordeaux (LP2i Bordeaux)

Tutelles du laboratoire : Université de Bordeaux et Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Domaine de recherche : Physique des neutrinos

Sujet de recherche actuel : Détermination de la masse et de la nature des trois neutrinos

Nous rencontrons Frédéric Perrot à la fin des cours dans une salle de classe de l’université de Bordeaux. Il nous y raconte son parcours, dans lequel l’enseignement a joué et joue encore un rôle important. Il nous explique également son domaine de recherche.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la recherche ?

Faire de la recherche n’a pas vraiment été une envie très précise. J’ai d’abord fait deux ans de classe préparatoire. Mais n’ayant pas eu les écoles d’ingénieurs, j’ai fait une deuxième année de licence en université avant d’être accepté à l’École normale supérieure de Lyon pour ma troisième année de licence et la première du master. Pendant cette période, j’ai eu un cours de physique nucléaire qui m’a plu et je me suis dit que j’aimerais bien travailler là-dedans. L’infiniment petit m’intéressait donc j’ai passé un Diplôme d’études approfondies (DEA) spécialisé en physique subatomique à Strasbourg. 

À ce moment, je pensais toujours que j’irai peut-être travailler dans quelque chose de plus appliqué en lien avec l’énergie nucléaire. Finalement, les cours de DEA et mon stage de recherche m’ont plu, j’ai eu une bourse et je me suis lancé dans une thèse en physique nucléaire portant sur la radioactivité de certains éléments.

À la fin de ma thèse, je me questionnais encore. Comme j’aimais bien l’enseignement, j’ai fait une année en tant que professeur des écoles. J’ai passé le concours et j’ai fait une année à l’Institut universitaire de formation des maîtres, avec des stages d’enseignant en école primaire. J’ai eu le diplôme, mais je suis revenu à la recherche et j’ai eu mon poste à l’université de Bordeaux.

Encore maintenant, ce questionnement reste : est-ce que je vais faire ça toute ma vie ? En plus, j’aime toujours enseigner. Il y a un côté concret et c’est à court terme. Si le cours se passe bien, on est satisfait au quotidien. Dans la recherche, on est sur des échéances bien plus longues. Les cours permettent de donner un sens plus immédiat à mon métier. Quand je transmets des notions à des étudiants, je me dis que j’ai servi à quelque chose pendant la journée.

Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?

J’étudie les neutrinos, qui sont des particules minuscules, invisibles à l’œil nu. Il en existe trois types et je travaille notamment à la détermination de leur masse, qui est extrêmement faible, à tel point qu’on a longtemps pensé qu’ils avaient une masse nulle. On sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Je travaille aussi sur la nature de ces particules : comme ils sont électriquement neutres, une question importante est de déterminer si le neutrino est sa propre antiparticule [NDLR : Antiparticule est le nom donné à la particule dont plusieurs caractéristiques, la plus connue étant la charge électrique, sont de signe opposé à celle de la particule « classique » associée et pouvant annihiler cette dernière en la rencontrant. Si la charge électrique est nulle, la particule et l’antiparticule peuvent être identiques].

Mais le neutrino, en plus d’être invisible au sens propre, est encore plus insaisissable car sa probabilité d’interagir avec le reste de la matière est extrêmement faible. Il a un côté « passe-muraille » énorme. Sur mille milliards de neutrinos qui traversent la Terre dans son diamètre, seul un va interagir. Les autres traversent sans s’arrêter. Aucun chercheur ne peut dire qu’il a vu un neutrino puisqu’on ne voit que les traces de leur passage.

Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?

Le plus souvent, pour détecter les neutrinos, on utilise un milieu scintillant car lorsqu’un neutrino interagit avec ce type de milieu, de la lumière visible est émise. Seulement, la lumière, on ne peut rien en faire en l’état. Pour l’analyse, on doit utiliser des photomultiplicateurs, qui vont transformer la lumière en signal électrique. En fait, un panneau photovoltaïque ou même l’œil sont des « photomultiplicateurs » puisqu’ils convertissent aussi de la lumière en courant électrique.

Pour moi, ces photomultiplicateurs symbolisent la détection du neutrino : ils sont l’œil du chercheur pour le voir et la brique de base de nos détecteurs. Ils sont très présents dans mon quotidien : on les étudie et on veut les rendre les plus efficaces possibles pour ne pas perdre la moindre interaction. Ils sont emblématiques de ma recherche.

Photo de photomultiplicateurs de 20 et 8 pouces de diamètre.
© Jean Jouve.

Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?

Je dirais la détection des ondes gravitationnelles. Quand j’ai commencé il y a vingt ans et que je voyais des gens travailler sur l’expérience Virgo, je pensais qu’ils n’allaient jamais rien voir et qu’en se lançant là-dedans, ils n’obtiendraient des résultats qu’à des échéances très longues. Et là, on détecte quelque chose quinze ans plus tard, ce qui est long mais reste court pour une telle prouesse. On est quand même sur la mesure d’une déformation de l’espace-temps minuscule, 10⁻¹⁸ m : c’est de l’ordre du millième de la taille d’un proton ! C’est environ un cent-millième de milliardième de l’épaisseur d’un cheveu ! Ça m’a vraiment impressionné.

Johann Dallan

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