4 questions à Christophe Mulle
Comprendre le cerveau pour combattre les dysfonctionnements de la mémoire
Prénom et nom : Christophe Mulle
Statut actuel : Directeur de recherche
Nom du laboratoire : Institut interdisciplinaire des neurosciences au sein de Bordeaux Neurocampus
Tutelles du laboratoire : Université de Bordeaux, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Domaine de recherche : Neurosciences
Sujet de recherche actuel : Circuits synaptiques de la mémoire
Qu’est-ce qui vous a amené à faire de la recherche ?
Certains, depuis tout petit, ont envie de découvrir, déconstruire et comprendre la nature et ses phénomènes. Mais ce n’est pas mon cas. J’ai commencé par faire une classe préparatoire en BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) puis une école d’ingénieur en agronomie que j’ai vite arrêtée pour entrer à l’École normale supérieure. À ce moment-là, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires qui m’ont fait découvrir le monde de la recherche. J’ai tout de suite accroché. J’ai été immédiatement attiré par le côté ludique de la recherche : on se pose une question, on arrive le matin au laboratoire et on se dit : « Tiens, comment ça marche ? Comment peut-on faire pour comprendre ce phénomène ? » Puis, on bricole. Nous sommes un peu des bricoleurs, des artisans, nous posons une problématique et c’est parti. Après plusieurs dizaines d’années, j’apprécie toujours autant de venir tous les matins au laboratoire pour discuter avec ceux qui font des expériences et réfléchir aux résultats.
De manière plus académique, j’ai toujours été attiré par les mécanismes de la mémoire et les approches expérimentales. J’ai tout d’abord fait une thèse sur les récepteurs de la nicotine à l’Institut Pasteur à Paris, pour ensuite partir faire mon postdoctorat à l’étranger. J’ai passé deux ans au Canada puis trois aux États-Unis avant de revenir sur Bordeaux pour fonder mon laboratoire en 1995.
Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?
Mes recherches actuelles portent sur les circuits synaptiques de la mémoire. Une partie de l’équipe de recherche travaille sur les mécanismes physiologiques de l’encodage de la mémoire et une autre sur son rapport avec la maladie d’Alzheimer. La maladie d’Alzheimer touche plusieurs zones du cerveau lorsqu’elle évolue et elle provoque des dysfonctionnements au niveau de la mémoire épisodique ; la mémoire de « tous les jours » qui enregistre les événements. Ces dysfonctionnements viennent de la perte de fonctionnalités des synapses qui assurent le transfert d’informations entre les neurones. La région premièrement touchée est celle du lobe temporal. Dans cette région, je travaille plus particulièrement sur l’hippocampe.
Les synapses sont plastiques, c’est-à-dire que leur fonction se modifie au cours du temps ou en fonction de certaines expériences. Ces modifications provoquent à leur tour des changements d’activités des circuits neuronaux. Ce procédé est de l’ordre de l’invisible. Mais ce n’est pas tout. Les synapses produisent de faibles courants électriques qui sont de l’ordre du picoampère (10-12 ampère), ce qui est très faible ! Difficile de s’électrocuter avec. Aujourd’hui, nous avons des outils qui nous permettent de voir des choses extrêmement petites, très fines, et qui nous donnent l’occasion de comprendre l’activité d’une synapse. Certains parlent même de nanoscopie et non de microscopie.
Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?
Les électrodes. Elles nous permettent d’aller sonder l’activité des synapses individuelles. Ce sont même des microélectrodes. Grâce à elles et un microscope, il est possible d’étudier les faibles courants électriques. Pour ce faire, nous utilisons un système d’électrodes sur le corps cellulaire d’un neurone et nous stimulons d’autres neurones afin d’obtenir ces courants électriques.
Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?
Je pense que le travail de chercheur se fait d’un cumul de petites découvertes. Il est important de rester humble. Puis vient quelque chose qui n’était pas prévu, c’est le cas pour moi. Il y a quelques années, avec une collègue de Marseille, j’ai travaillé sur un modèle de souris épileptiques et sur le glutamate, un acide aminé présent dans de nombreux aliments que nous consommons (qui s’avère être un neurorécepteur excitateur). Nous avons découvert un lien entre un certain type de récepteurs du glutamate et le déclenchement de crises épileptiques. De nombreux cliniciens et investisseurs privés ont été intéressés par ces recherches. Toutes ces personnes avaient envie de prendre nos découvertes et de les amener un peu plus loin. Il y a trois ans, nous avons alors décidé de monter une entreprise nommée Corlieve Therapeutics, qui avait pour objectif de faire de la thérapie génique pour les patients atteints d’épilepsie du lobe temporal (touchant les synapses de l’hippocampe). Avec cette entreprise, nous avons découvert une possibilité de soigner ces patients en ciblant un gène codant, pour ce récepteur du glutamate, présent dans l’hippocampe. Au bout de deux ans, Corlieve Therapeutics a été rachetée par une autre entreprise, uniQure. Spécialisée dans la thérapie génique, elle poursuit le projet vers la clinique.
Ces recherches sont marquantes pour moi car, lorsque j’ai commencé mon travail de chercheur, je ne pensais pas soigner des gens. Mais il faut rester ouvert d’esprit pour voir si les petites découvertes peuvent être applicables. Je me considère vraiment comme un chercheur en science fondamentale, et pourtant j’ai été embarqué dans un nouveau système qui est allé très vite et très loin. Et je recommencerai avec plaisir si l’occasion se représente.
Adrien Lascombes
Si vous avez aimé ce portrait, alors vous aimerez les autres qui n’attendent que d’être lus ! Des scientifiques de toutes disciplines se livrent à vous…