4 questions à Anne Lafourcade

© Anna McCay.

Prénom et nom : Anne Lafourcade

Statut actuel : Ingénieure chimiste santé environnement, créatrice de l’agence Alicse et présidente de SAFE-Li

Domaine de recherche : La conduite de changement en santé environnement dans le quotidien des enfants

Sujet de recherche actuel : La protection de la période pré-conceptionnelle

Comment entourer les enfants d’un environnement favorisant la santé quand la réglementation ne les protège pas encore efficacement ? Spécialiste des compositions des produits de grande consommation et des labellisations environnementales, Anne Lafourcade s’intéresse à cette problématique et mène des enquêtes de terrain pour accompagner les organisations et les collectivités aux changements de pratiques. Entre deux audits, elle répond à nos questions.

Qu’est-ce qui vous a amenée à faire de la recherche ?

Lorsque je dirigeais un laboratoire de cosmétiques en tant que chercheuse en Recherche et Développement dans le groupe industriel L’Oréal, j’ai eu une prise de conscience d’une certaine vacuité de mon activité. De plus, je trouvais que l’on mentait beaucoup aux consommateurs en essayant de leur vendre de la poudre aux yeux, c’est le cas de le dire. Ce n’était pour moi pas correct. Cette prise de conscience m’a donné envie de travailler sur des domaines plus verts. Quand j’ai découvert la cosmétique biologique, par ma fonction de dirigeante des certifications des cosmétiques biologiques pour un organisme nommé Ecocert, je suis devenue spécialiste de tous les produits de grande consommation verts et je pouvais alors répondre aux questions suivantes : « C’est quoi un cosmétique biologique ? » ou « C’est quoi un détergent écologique  ? ». Je me suis alors posé la question de l’effet de ces produits sur notre santé et ça m’a donné envie de travailler dans ce domaine. Me rendant compte que ce dernier n’existait pas, j’ai créé mon activité en 2017, l’agence Alicse qui s’est ensuite déclinée sous SAFE-Li, pour contribuer à plus de transparence. Ma motivation première était vraiment de donner une photographie réelle des produits qui sont sur le marché. Ce n’est pas encore très bien réussi car on est toujours inondé de produits indésirables.

Programme SAFE-Li à la crèche.
© Alicse.

Quel est le lien entre votre recherche actuelle et la thématique de l’Invisible ?

Cette thématique prend tout son sens puisque l’invisible est central dans mon métier. Parmi tous les produits chimiques, notamment ceux mis en circulation après l’ère industrielle, certaines molécules appelées perturbateurs endocriniens sont particulières : elles sont toutes petites et ont la capacité d’entrer facilement dans notre organisme et de venir se mettre en lieu et place de nos récepteurs hormonaux pour perturber leur bon fonctionnement. Si ces récepteurs sont perturbés, c’est tout un tas de fonctions capitales qui sont perturbées. C’est notamment le cas pour les fonctions des tout-petits, au moment de la fenêtre des 1000 jours [NDLR :  c’est une période de la grossesse aux deux ans révolus de l’enfant qui est essentielle pour son développement et pour la santé globale de l’adulte qu’il deviendra]. Leur croissance, leur fertilité ou leur sommeil peuvent être déséquilibrés. Les perturbateurs endocriniens peuvent également générer certains cancers hormonodépendants comme le cancer du sein et de la prostate. Ce qui est insidieux c’est que ce sont des imprégnations qui peuvent avoir lieu dès le stade fœtus, au premier trimestre de grossesse, mais qui ne s’expriment que des années plus tard à l’âge adulte.

Quand je parle de la menace liée aux perturbateurs endocriniens, je l’appelle « la menace fantôme ». Je la nomme ainsi car la présence de ces molécules est ubiquitaire mais on ne les voit pas, on ne les sent pas et on n’en a pas conscience, bien qu’on les inhale, qu’on les mange et qu’on les touche au quotidien. Elles traversent notre derme et nos muqueuses pour se retrouver dans notre corps sans même que l’on s’en aperçoive puisqu’elles sont invisibles. Notre corps est donc parfois saturé de perturbateurs endocriniens, mais nous ne percevons pas le danger. Par ailleurs, c’est un danger qui a un autre côté fantôme : il est souvent différé dans le temps. Même si on ne tombe pas raide mort parce qu’on a léché un morceau de plastique, il y a un impact sanitaire mais qui est diffus et invisible. Et un jour, alors que vous étiez en bonne santé, on vous annonce que vous êtes diabétique ou que vous avez un cancer. C’est probablement la somme de tout un tas d’expositions invisibles, ce qu’on appelle l’exposome, qui vous a rendu malade. L’objectif est donc de réussir à mettre les gens en garde face à cet ennemi invisible. Après, peut-être que j’ai nommé cette « menace fantôme » ainsi parce que j’aime bien Star Wars, mais ça c’est une autre histoire.

Quel objet issu de votre quotidien représente pour vous le mieux le lien avec votre recherche ?

Au quotidien, je travaille avec une grille d’audit constituée de 120 entrées permettant de faire l’état des lieux de structures visées : combien il y a de produits détergents dans les placards, comment on les utilise, est-ce qu’ils sont rincés ou non, quel type de couche on utilise pour les bébés, est-ce que les grilles d’aération sont nettoyées, etc. Ce sont des points à auditer qui sont très terre à terre. De plus, je me promène quotidiennement avec un capteur de CO2 dans mon sac.

Cependant, l’objet qui représenterait le mieux mon travail serait le micro parce que là où je me sens le plus efficace, c’est quand on fait des conférences et que je raconte tout ce que je suis en train de vous dire. Ça relève du changement personnel et psychologique, c’est pourquoi il faut animer des conférences pour faire changer les gens. C’est accepter l’idée de cette situation et avoir envie de la modifier.

Quels sont les résultats, découvertes ou recherches qui vous ont le plus marqué ?

Avec mes collègues, on cherche notre savoir-faire dans les études scientifiques donc c’est peut-être l’incapacité des institutions à nous protéger correctement, avec des réglementations qui sont difficiles à réformer et des lobbys. Ce serait donc mon constat négatif de cette inertie des institutions qui m’a le plus marqué. Cette incapacité continue à me choquer parce qu’elle persiste dans le temps. Ces structures sont fonctionnelles et organisées, c’est une grande lourdeur administrative, mais il y a des réglementations que l’on n’arrive pas à améliorer facilement. C’est un de mes soucis et c’est ce qui me meut le plus dans mon travail.

Lucie Grandgirard

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